Elle avait subjugué l'héritier de l'empire, la jalousie l'aura menée au meurtre. Ridley Scott en a fait un film.
Soutenue par les deux personnes qui l’accompagnent, elle semble à peine tenir sur ses jambes. Patrizia Reggiani, 72 ans, marche mal mais porte un jean slim à fleurs, une veste en croco et des lunettes de star. Consacre-t-elle plus d’attention à son style depuis qu’elle sait que Lady Gaga, la chanteuse aux 12 Grammy Awards, lui prête ses traits dans « House of Gucci », un des films les plus attendus de la fin d’année ? Patrizia a été relâchée en 2014, à 65 ans, après avoir effectué seize ans de prison pour le meurtre de son ex-mari, Maurizio Gucci. Lady Gaga explique : « Beaucoup auraient aimé l’interpréter comme un cliché, la chercheuse d’or qui sème le chaos et ruine la vie des gens. Moi, je me suis dit : et si j’en faisais une femme comme on peut en rencontrer ? »
"Vous ressemblez à Liz Taylor !
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Derrière la dépensière, la snobe et la meurtrière, il s’agit donc de découvrir Patrizia, l’amoureuse. L’œuvre est inspirée d’une vaste enquête de la journaliste américaine Sara Gay Forden, parue en 2000 et récemment traduite en français. Le récit partait de la création de la marque par Guccio Gucci, en 1921. Le film commence en novembre 1970 par la rencontre de Maurizio, son petit-fils, avec Patrizia, la fille du cofondateur d’une importante société de transport. Patrizia n’a jamais manqué de rien mais rêve de posséder toujours plus. Pour ses amis, il ne fait aucun doute qu’elle convoite un beau parti, issu d’une riche lignée. Ses formes généreuses moulées dans une robe rouge, Patrizia, 21 ans, se rend à une soirée mondaine. Le timide et sage Maurizio Gucci, même âge, n’en croit pas ses yeux. « Vous ressemblez à Liz Taylor ! » lui lance-t-il, subjugué. « Je lui suis bien supérieure », rétorque la jeune femme.
Brillant étudiant en droit, « Mau », héritier d’une des plus prestigieuses maisons de mode du monde, a reçu de son père, veuf, une éducation très stricte. Patrizia, qui parle couramment français et anglais, est surtout connue de la haute sphère milanaise pour ses manières provocantes et son goût de l’artifice. Un témoin de cette période raconte : « Les garçons de notre groupe n’ignoraient pas sa nature frivole. Mais Maurizio était sous le charme. » Une relecture plus moderne de son comportement décrirait Patrizia comme une femme libre, à l’aise avec ses désirs.
Maurizio et Patrizia vont d’abord former un couple amoureux. Dès leur deuxième rendez-vous, Mau la demande en mariage. L’argent a peut-être aiguillé les choix de la Milanaise, mais, lorsque Maurizio annonce sa décision à son père, il est congédié sans un sou. Rodolfo Gucci, qui détient 50 % de l’entreprise, abhorre l’excès en toute chose. Pas étonnant qu’il répudie instinctivement cette femme couverte de bijoux et de fourrures. Reste-t-elle auprès de son bien-aimé par pur amour ou parce qu’elle sait qu’un jour les parts du père leur reviendront ? Pour Maurizio, Patrizia sera le premier et le dernier acte de rébellion. Il a vécu sous l’emprise de son père ; il en sort définitivement.
"Je préfère pleurer dans une Rolls-Royce que rire à bicyclette
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Maurizio trouve refuge dans la famille de sa fiancée. Il termine ses études en travaillant pour l’entreprise de son futur beau-père. Aucun Gucci n’assiste à son mariage, que Rodolfo tente même de faire annuler. Mais Aldo Gucci, l’oncle de Mau, prend le relais. Il confie à Maurizio et à sa femme des responsabilités à New York. Les années qui suivent sont les plus belles. Installés dans un luxueux penthouse avec vue sur Manhattan, Maurizio et Patrizia forment le couple star de la fin des années 1970. Avec leurs deux filles, Alessandra et Allegra, ils oscillent entre New York, Milan, leur villa d’Acapulco, leur chalet de Saint-Moritz, leur ferme du Connecticut et les virées sur le « Créole », leur célèbre yacht. C’est à cette époque qu’on doit la légendaire phrase de Patrizia : « Je préfère pleurer dans une Rolls-Royce que rire à bicyclette. »
Un quotidien luxueux, terni toutefois par les conflits familiaux. Alors que chacun cherche à récupérer la gouvernance de telle ou telle holding, voire la présidence de la marque, Maurizio peut compter sur sa femme pour s’imposer dans ce qui se révèle un véritable combat des Atrides. Patrizia raconte : « Je savais qu’il était faible. Mais moi, j’étais forte pour deux. J’étais mondaine, pas lui. Je sortais sans arrêt, lui s’enfermait chez nous. J’étais la représentante de Maurizio Gucci et ça me suffisait. Je l’ai tellement encouragé qu’il a fini par prendre la présidence de Gucci. »
Ridley Scott prend le temps de détailler la descente aux enfers du couple
La bascule se produit en 1983 quand, à la mort de Rodolfo, Maurizio récupère les précieux 50 % de Gucci. La prédiction du patriarche se réalise : « Au contact de l’argent et du pouvoir, il changera. Tu t’apercevras que tu t’es mariée avec un autre homme », a-t-il pris soin de signifier à cette bru dont il ne fut jamais proche. Lentement, Maurizio change, au point de ne plus supporter Patrizia et ses manipulations. Libéré de l’influence de son père, il ne tolère plus celle de sa femme. Une longue descente aux enfers commence. Une période que Ridley Scott prend le temps de détailler. Le réalisateur a confié que son film évoque moins le milieu des affaires que l’obsession et la passion. On voit Patrizia, toujours en Gucci, multiplier les crises et les engueulades jusqu’à la scène fatidique du 25 décembre 1985 à Saint-Moritz.
"Qu’arrive-t-il lorsqu’on pousse quelqu’un à bout ? Dans le cas de Patrizia, le pire
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« Ce soir-là, raconte Sara Gay Forden dans son enquête, ils devaient se rendre ensemble à une réception. Mais Maurizio annonça qu’il ne voulait plus y aller. Patrizia y apprit que son époux comptait partir le lendemain. Une fois rentrée, elle lui débita une litanie de reproches et il réagit en l’empoignant par le cou. Il la souleva à quelques centimètres du sol tandis que leurs filles, recroquevillées derrière la porte, les observaient en tremblant. » Le lendemain, Maurizio Gucci s’envole pour Genève. Aussi pleutre que son père, qui n’avait pas le courage de congédier lui-même ses employés, il envoie son médecin, muni d’un flacon de Valium, annoncer à Patrizia qu’il ne reviendra pas. Dans « Vogue », Lady Gaga raconte : « Je ne souhaite pas glorifier quelqu’un qui a commis un meurtre, mais je tiens à rendre hommage aux femmes qui sont devenues des expertes en survie et subissent les conséquences malheureuses de la souffrance. J’espère que les femmes regarderont ce film et qu’elles se souviendront que les gens blessés blessent. C’est dangereux. Je veux qu’on se pose la question : “Qu’arrive-t-il lorsqu’on pousse quelqu’un à bout ?” Dans le cas de Patrizia, le pire. »
Après des années de bataille pour la garde des filles et la répartition de leurs biens, la jalousie de Patrizia l’aveugle. C’est l’existence de Paola, la compagne de Maurizio, qui lui fait perdre pied. Les généreuses mensualités de sa pension n’y changeront rien. Ainsi, elle demandera aux domestiques de Saint-Moritz de lui préparer des bidons d’essence, rêvant de brûler la villa qui abrite leurs amours.
"Pour Patrizia, Gucci représentait tout. Gucci, c’était l’argent, le pouvoir, c’était même une identité
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La catastrophe arrive en 1993 lorsque Maurizio perd le contrôle de Gucci, qu’il présidait jusqu’alors. Il vend ses parts à la société Investcorp pour 120 millions de dollars. Pour Patrizia, qui continuait d’agir malgré le divorce afin qu’il reste le seul propriétaire de cette mine d’or faisant ruisseler la richesse sur elle et ses enfants, c’est le coup de trop. Pina Auriemma, l’amie qui va l’aider quelques mois plus tard à organiser le meurtre, raconte : « Pour elle, Gucci représentait tout. Gucci, c’était l’argent, le pouvoir, c’était même une identité. » Elle redoute surtout que son ex-mari épouse Paola Franchi, l’ancien mannequin devenu décoratrice d’intérieur, et qu’elle lui donne un nouvel héritier. Un plan est élaboré. Le 27 mars 1995, Maurizio Gucci est abattu de quatre balles sur les escaliers menant à ses bureaux.
Il faudra deux ans aux enquêteurs pour remonter jusqu’à la piste de l’ex-épouse. Filippo Ninni, chef de la police de Milan, se remémore l’arrestation de Patrizia, son arrivée au commissariat en fourrure et bijoux. « Je voyais une matérialiste qui se définissait par la richesse, qui pensait que l’argent pouvait tout acheter. » La veuve écope de vingt-six ans de prison. L’homme qui a activé l’arme, de la perpétuité.
Aujourd’hui, Patrizia regrette que Lady Gaga n’ait pas cherché à la contacter. La chanteuse, dont la performance est époustouflante, s’explique dans « Vogue » : « Je n’ai pas voulu rencontrer Patrizia Reggiani, car personne, pas même elle, n’avait à me dire qui elle était. À travers ce rôle, j’ai voulu comprendre comment un tel meurtre était possible. »
Lire aussi.Patrizia Reggiani, la "veuve noire" de Gucci, libérée
En avril 2021, une descendante Gucci a fait savoir que la famille désapprouvait cette relecture de l’histoire : « Nous sommes profondément déçus. On nous vole notre identité pour faire du profit, pour enrichir le système hollywoodien. C’est honteux. Je suis vraiment offensée. » Dans les rues de Milan, en mars dernier, la veuve noire ne cherchait pas réellement à passer inaperçue. Au cœur d’une superproduction américaine, elle avait sans doute retrouvé la seule place qui lui convienne : en haut de l’affiche.
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